Si la rocaille peuple abondamment les jardins de Marseille, il faut en trouver son origine en Italie tant dans son histoire que dans sa facture. L’histoire de la rocaille et bien ancienne puisqu’elle remonte à l’antiquité romaine, se retrouve à la Renaissance et passe en France avec nos reines italiennes. Elle connaît un nouveau souffle au 19e siècle grâce à l’arrivée du ciment, cette pierre liquide qui va permettre la réalisation d’architectures imaginaires… Faux arbres, faux rochers, des sortes de châteaux de sable figés et durables réalisés dans nos jardins par des artisans italiens.

La profession est largement détenue par des maçons italiens, elle n’est pas organisée en corporations. Ils sont indépendants et reçoivent le double du salaire d’un maçon. La journée de travail est fixée à 6 francs pour les cimentiers, 3 francs 50 pour les gâcheurs. On a retrouvé le nom de David Gagliardone sur des listes électorales de Marseille parce qu’il a été naturalisé. Né à Trévise, il vit dans le piémont où il commence à travailler dès l’âge de 10 ans, réalisant des monuments funéraires en ciment tandis que son père est en prison. Son père libéré, la famille fuit l’Italie et s’installe à Marseille. Quatre garçons Gagliardone vont œuvrer dans la rocaille. Ces rocailles vont entremêler les rêves d’artisans nourris de culture populaire et de beaux-arts à ceux d’une nouvelle bourgeoisie à la fois romantique et ouverte aux conquêtes coloniale et industrielles. Il y a un désir de donner libre cours à des formes baroques, de réaliser le tour du monde ou de remonter le temps, rien qu’en traversant son jardin! Dans une interview de 1978 Pierre Gagliardone raconte :  « On parlait l’italien le provençal et le français… pas mal pour des illettrés ! hein ! Et puis on n’avait pas fait les beaux-arts, mais il y en avait dans la tête ! »

Un art qui se fond à merveille à la végétation en créant la surprise à moindre frais,  les cimentiers manipulaient hardiment la truelle et savait parfaitement réaliser les écorces de n’importe quel bois en y glissant un faux nids de guêpes figé à jamais dans le ciment. De 1860 à 1930 le nouveau matériau et le faible coût de la main d’œuvre offre le moyen de traiter à la fois l’architecture de façade, le jardin avec ses terrasses son mobilier en faux bois, fausses pierres, faux rochers,  voire fausse végétation. Le propriétaire faisait appel au rocailleur pour orner son jardin de ses mises en scène imaginaires. D’une ruine évocatrice de grandeur ou d’une cabane évoquant la retraite de Robinson Crusoé, rêve d’un passé glorieux d’une époque chevaleresque ou romanesque, tout est permis dans ce quartier du Roucas Blanc au détour de ses ruelles et traverses qui investissent peu à peu la colline. Dans un quartier encore peu habité, une tour de guet sortie de nulle part en décore le carrefour avec la mer pour seul horizon.

L’architecte des monuments historiques écrira en 1965 à André Malraux que ces rocailles de pavillons de banlieue sont du plus mauvais goût. C’est donc un art que l’on a mis du temps à apprécier et qui peut être protégé aujourd’hui au titre des monuments historiques. C’est le cas de la Villa Costa, nichée dans un vallon du Roucas Blanc.

La fenêtre est un thème cher au rocailleur,  elle égaye un mur aveugle et austère,  suscite intérêt, pique la curiosité du passant. Comme l’écrit Bachelard dans la fausse fenêtre il y a la place pour l’imagination… Il y à toujours plus de choses dans un coffre fermé que dans un coffre ouvert. Pourtant en y regardant de plus près, certains détails prêtent à sourire… Les ferrures médiévales paraissent sortir d’un dessin d’enfant aux envies de château-fort. En guise de publicité, une simple signature sur un mur récemment réalisé… Des noms aux consonances italiennes tombés aujourd’hui dans l’oubli tout comme leur art…

Lecture et texte : Odile Tertrais

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